Qui paie les pots cassés des exactions ? Alors que l’aide de la France devient vitale pour sortir la tête de l’eau, les élus de la province Sud ont dû évoquer ce matin les mesures drastiques qui devront être mises en place dans ce contexte catastrophique qu’est celui de la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui. Malgré une gestion rigoureuse jusque-là, la crise économique et la chute des recettes fiscales qui en résulte, impactent trop fortement le budget de la Maison Bleue. Les caisses sont vides, la collectivité n’a d’autre choix que de se recentrer sur l’essentiel.
En ce jeudi matin, sur les bancs de l’hémicycle, le programme n’est guère réjouissant. La province Sud qui avait réussi en quelques années à redresser sa situation financière, à force d’efforts de gestion et de maîtrise des coûts de fonctionnement, a vu ses efforts anéantis par les émeutiers. Les exactions et la trainée de conséquences qui en résultent ont mis le pays à terre et les comptes à sec. Mais comment reconstruire avec des finances exsangues ? Pour la deuxième fois, l’assemblée a dû ce matin, revoir son budget pour le rééquilibrer, c’est-à-dire le réduire encore drastiquement pour espérer tenir ses engagements prioritaires.
Maintenir les dépenses prioritaires dans un contexte désastreux
Avec une chute des ressources fiscales de 10,9 milliards pour la province Sud, les perspectives aujourd’hui sur le budget provincial sont pessimistes. Même si Sonia Backès, présidente de l’assemblée de Province, a rappelé dès l’ouverture de la session que des discussions sont menées avec l’Etat et que celui-ci apportera son soutien à la collectivité, à la fois par une aide directe avec le financement intégral de la reconstruction des bâtiments scolaires et un remboursement massif de la reconstruction des bâtiments publics, mais aussi par une participation à de nouveaux investissements publics. « Une aide déterminante pour faire face à la crise » comme le rappelle Naïa Watéou, présidente de la commission du développement économique, et qui permettra de porter des coupes un peu moins franches dans les comptes déjà bien sacrifiés une première fois en juillet…
Le second arbitrage évoqué ce matin en assemblée vient donc renforcer les mesures drastiques précédemment prises sur plusieurs champs de compétence provinciaux et s’appuie sur une réduction massive de l’ensemble des dépenses de fonctionnement (-11 %). Afin de faire face à la seconde onde de choc que représente l’effondrement économique qui s’amorce, la collectivité prévoit ainsi de consacrer majoritairement son budget restant au maintien des emplois provinciaux et, autant que faire se peut, des investissements, afin de soutenir les entreprises encore debout en alimentant le marché en berne avec de la commande publique.
Cette décision difficile mais nécessaire ne sera pas sans répercussion sur les partenaires de la collectivité, qu’elle ne sera désormais plus en mesure de soutenir… Une conséquence regrettable des exactions, comme le détaille le vice-président Philippe Blaise : « On a gratté jusqu’à l’os pour permettre à la Province de payer l’essentiel, c’est-à-dire les salaires de ses employés. Et même en faisant cela, nous sommes obligés d’aller chercher une aide exceptionnelle de l’Etat. Or cette aide ne nous permet pas de sauver nombre d’organisations qui dépendent de nos subventions publiques. Nous sommes aujourd’hui dans une situation dégradée qui ne permet plus à la Province d’assumer certaines de ses missions et nous ne savons pas comment nous allons faire pour éviter la destruction de toute une partie du tissu associatif. Mais si demain la situation revenait à la normale, nous honorerions évidemment nos engagements auprès de ces organisations. »
En chiffres
• Un budget initial pour l’exercice 2024 de 80,2 milliards mais :
• -10,9 milliards de ressources fiscales pour la province Sud, à la suite des exactions
• 3,8 milliards de dégâts estimés à ce jour sur les structures provinciales
• 6,2 milliards en attente de paiement par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à la Province
• 1 milliard en attente de paiement par la Cafat à la Province
• 2,8 milliards de trésorerie au 12/09 (-1,8 milliard de salaires à payer dans les prochains jours)
➡️ Un budget par deux fois ajusté pour atteindre un équilibre à 77,6 milliards
➡️ -6 % d’investissements et -9 % de dépenses de fonctionnement actés en juillet
➡️ -11 % de dépenses de fonctionnement, une mesure-phare votée en séance ce jeudi
Pour les collégiens de Rivière Salée « la qualité pédagogique sera maintenue »
Autre sujet sensible abordé ce matin, la fermeture du collège de Rivière Salée en 2025. « Ce n’est pas un choix, c’est une nécessité imposée par les faits ». Comme l’a rappelé Marie-Jo Barbier, élue et présidente de la commission Enseignement, après les exactions, c’est une décision inévitable. Alors que le collège était pourtant une structure-phare de la politique d’enseignement et de réussite de la Province, en étant notamment l’établissement-pilote du dispositif Cartable numérique, « depuis le 13 mai, c’est fini » a regretté amèrement Sonia Backès. Les travaux de reconstruction sont trop lourds et complexes pour être réalisés pendant les vacances ou en parallèle des cours. Ils sont également beaucoup trop coûteux : ils représenteraient à eux seuls la moitié des coûts de reconstruction des 9 établissements dégradés. Au vu de la baisse continue des effectifs de collégiens à Nouméa, le collège – comme d’autres – aurait dû être fermé depuis plusieurs années car sous-utilisé (rempli à 43 % de sa capacité d’accueil en 2024). « Ce n’était pas prévu mais c’est un confort que nous ne pouvons plus nous payer maintenant », a encore déploré Sonia Backès. Les élèves du quartier pourront être rattachés aux collèges situés à proximité, en mesure de les accueillir car disposant eux aussi de places libres. « La qualité d’enseignement ne sera pas dégradée », a insisté le 2e vice-président de la province Sud, Gil Brial, avant de rassurer face à l’interrogation du transport scolaire. « La question sera suivie de près par la province Sud », afin que les élèves ne rencontrent pas de difficultés d’acheminement, malgré l’arrêt à l’heure actuelle de la desserte SMTU.
Malgré la situation dramatique à laquelle est confrontée la collectivité, qui se voit placée « en situation de sauvegarde, avec pour objectif de sauver son cœur de métier, au prix de sacrifices réalisés partout » comme l’a résumé Philippe Blaise, les échanges de cette matinée ont été l’occasion de saluer la mobilisation et la réactivité des services provinciaux. En particulier, la prise en main rapide de la compétence maritime (qui relevait initialement du gouvernement) avec l’organisation des navettes maritimes pour venir en aide aux Montdoriens du sud et leur permettre de conserver leur emploi et de sortir de l’isolement. A également été louée la gestion rigoureuse des finances de la collectivité par l’exécutif, ainsi que son engagement à soutenir l’économie par l’investissement, et par ricochet, soutenir l’emploi, le pouvoir d’achat mais aussi, de manière indirecte, le financement des mesures solidaires des collectivités publiques. Un cap auquel il reste fidèle et qu’il maintient malgré tout aujourd’hui.
Environnement
D’autres textes ont également été votés, dont deux portant sur des considérations environnementales.
⮚ Déchets liés aux exactions : un encadrement des chantiers et zones de stockage
Les exactions ont engendré subitement un volume exceptionnel de déchets qu’il a fallu gérer dans l’urgence en zones de stockage temporaire, certains sites de traitement des déchets étant inaccessibles. D’autres quantités considérables de déchets commencent à être générées par les nombreux chantiers de démolition, déconstruction et de nettoyage. Pour éviter les dérives, des dispositions environnementales ont été adoptées afin d’encadre la gestion des déchets issus des exactions, à travers des mesures qui demeurent cependant simples, pragmatiques et abordables pour que les professionnels puissent les appliquer aisément.
⮚ Prorogation des délais et adaptation des procédures en matière environnementale
À la suite des exactions, l’instruction des autorisations environnementales et des procédures afférentes a pu être ralentie par l’absence d’agents ou la fermeture de certaines administrations, organismes, commissions ou services publics. Afin d’éviter l’apparition d’autorisations tacites, la province Sud a adopté une mesure qui permet aux administrations comme aux administrés de disposer d’un délai supplémentaire dans le cadre des différentes phases d’instruction.
Le vote de ces délibérations a été l’occasion pour Nina Julié, élue et membre de la commission de l’environnement (et par ailleurs présidente de Scal’Air) de relater avec regret les conséquences directes et indirectes désastreuses des exactions sur l’environnement mais aussi sur la structuration (réglementation, associations…) qui s’était mise en place en faveur de la protection environnementale.